Un enfant sur dix est victime ou a été victime d’inceste. 10% de la population. Ce chiffre énorme signifie que la plupart d’entre nous sont directement concernés ou connaissent des gens directement concernés. On côtoie aussi, sans le savoir, un ou plusieurs agresseurs. Celui de Christine Angot, elle le connaît, elle n’a jamais oublié ce qu’il a fait d’elle, sur elle, avec elle, sans elle, même si elle était là. Son agresseur est son père. Au moment où il la reconnaît enfin officiellement, elle a 13 ans, il commence à abuser d’elle. C’est le sujet central de l’œuvre de Christine Angot depuis la parution de L’Inceste en 1999, elle raconte dans Une famille qu’elle en a marre, marre d’être envahie, mais qu’elle ne peut pas faire autrement. Malgré elle. « Je suis l’inceste, médiatiquement, socialement, je suis l’inceste. Franchement y’a mieux », dit-elle.
Un film courageux
Ce qu’elle a écrit, elle devait le montrer et son stylo est devenu caméra, une caméra qui met le pied dans la porte, concrètement. Dans l’une des premières scènes, c’est celle de la femme de son père en Alsace qu’elle ouvre : « C’est une action, une action de cinéma. Je n’avais plus besoin de réfléchir, donc je pouvais agir, parce que tant que je réfléchis, je ne peux rien faire, parce que j’ai peur, et que j’avais honte devant cette maison qui m’a refoulée toujours ». Et la caméra filme cette femme qui n’a jamais connu son mari autrement qu’exemplaire, qui ne veut pas comprendre ce qui s’est passé sous son toit, qui ne le dit pas mais qui pense certainement que la petite Christine violée est coupable de son propre viol. C’est un moment important du documentaire et de la vie de l’auteure. Un acte courageux, car au-delà de ses « jambes qui tremblaient », cette femme portera plainte pour cette action d’être entré chez elle. Pourtant « La caméra n’est pas une arme, elle est juste là », affirme la réalisatrice.
Sa caméra-stylo tourne, elle enregistre les visages de ses proches : « On ne s’était jamais parlé comme ça. C’était très intéressant, parce qu’on a eu conscience que si l’on avait quelque chose à se dire, on allait se le dire à ce moment-là, et cela s’est passé comme
ça ». Des images fortes il y en a beaucoup, avec sa mère, le père de sa fille, sa fille qui dit « tu n’es pas l’inceste, il t’est arrivé l’inceste, mais toi tu n’es pas l’inceste ». Il a aussi des souvenirs de vacances au caméscope, et des archives comme l’émission du samedi soir d’Ardisson et Baffie qui se foutent de sa gueule, l’humoriste lui dit même « ta gueule ». Le terrible mépris des deux hommes la pousse à quitter le plateau sur cette phrase de l’homme en noir « Nous on s’amusait bien ». C’est vrai ça, c’est un magnifique sujet pour se marrer… Et Angot de commenter : « On a vu ça pendant 20 ans, on était 40% de part de marché devant, on se disait oh là là quand même, mais on regardait. Oui, c’est notre monde, je n’ai pas l’impression que le spectacle de l’humiliation, également télévisuel, a disparu ».
Car le monde regarde ailleurs. Ailleurs pour ne pas comprendre ce qu’est vraiment l’inceste: « Pourtant, dans mes livres, Une semaine de vacances par exemple, on voit ce que c’est », signale la romancière. Son film est une façon de nous dire : regardez, regardez encore. C’est son combat, incessant, et sa parole, toujours précise, est précieuse.
Une famille sort au cinéma ce 20 mars.
L’info en plus
Christine Angot a écrit une vingtaine de romans en un quart de siècle, dont L’Inceste (1999), Un amour impossible (prix Décembre 2015, adapté au cinéma par Catherine Corsini en 2018), Le Voyage dans l’Est (prix Médicis 2021), ainsi que des pièces de théâtre et des scénarios. Une famille est son premier film.