Toujours vaillant Le Messager boiteux 2024

Avec son homme à la jambe de bois en couverture, l’almanach du Grand Messager Boiteux semble sorti de la nuit des temps tant il est inscrit en nos mémoires. Tomi Ungerer ne faisait pas secret de l’attachement qu’il vouait à cet almanach.

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Il avait réalisé un dessin publicitaire pour Le Messager Boiteux, celui qui illustre cet article. Et, avec lui, il obtint son premier cachet, ce qui compte dans la mémoire d’un artiste qui tire le diable par la queue. C’était en 1954. Il avait alors 23 ans. Deux ans auparavant, il s’était engagé dans le corps des méharistes en Algérie. Il en fut réformé, revint en Alsace où il s’inscrivit en 1953 à l’école des Arts décoratifs dont il fut renvoyé en 1954 pour indiscipline. Tomi m’avait un jour parlé de ces deux années de vache maigre, avant qu’il parte aux États-Unis en 1956, à faire des affiches publicitaires, à arrondir les fins de mois en travaillant comme étalagiste pour les magasins. Il disait que ces deux ans correspondaient aussi à une profonde liberté. Il partait, en stop et avec tous les moyens de fortune, pour découvrir la Scandinavie et la Grèce en se faisant embaucher sur des cargos. Cette première rémunération obtenue pour une de ses créations le marqua et il eut toujours pour l’almanach une approche positive.

L’illustration que Tomi Ungerer a réalisée en 1954 pour l’almanach lui rapporta son premier cachet d’artiste. / ©Diogenes Verlag AG Zürich / Tomi Ungerer Estate – Tous droits réservés

Gérard Riebel, enseignant, auteur, correspondant des DNA pour la région de Molsheim et contributeur régulier de l’almanach, a contacté Tomi pour le 200e anniversaire de l’almanach. C’était en 2014. Il lui demanda l’autorisation de faire imprimer en carte postale cette illustration de 1954, afin qu’elle soit offerte avec chaque exemplaire de l’almanach. Tomi fut de suite d’accord. Cette illustration montre déjà le talent protéiforme de Tomi, sa capacité à mêler tendresse et humour. Il fallait son imagination débridée et sa saine insolence pour imaginer une roulette vissée au bas de la jambe de bois afin que le messager transmette ses nouvelles plus vite !

L’almanach, né en 1814, distribué en Alsace, Lorraine et Franche-Comté, m’accompagne depuis l’enfance. Mes parents se hâtaient de l’acheter en automne pour y trouver des nouvelles pour enchanter l’année à venir : l’horoscope, les positions de la lune et du soleil, les conseils de jardinage, les recettes et des articles qui allaient nourrir notre imaginaire. Bernard Riebel précise : « L’illustration de couverture, signée Tanconville, pseudonyme de Henri Ganier, qui fut peintre et magistrat, représente un ancien invalide des guerres napoléoniennes qui a obtenu le privilège de distribuer cet almanach pour gagner sa vie.

Bernard Riebel enfile le costume du Messager Boiteux une fois par an pour dédicacer l’almanach à Molsheim. / ©dr

Partout le messager boiteux est accueilli avec joie comme un porte-bonheur qui apporte distraction et instruction. Dans de nombreuses mythologies, le boiteux est doté de pouvoirs surnaturels ou d’un savoir supérieur. Il représente le dieu Mercure. Cet almanach a d’abord été créé par Herrmann Leroux en 1807 dans sa version allemande qui n’existe plus, puis en 1814 dans la version française. Ce qui fait de lui un almanach plus que bicentenaire ».

D’illustres auteurs ont écrit dans cet almanach : Camille Schneider, Christiane Meiss, Jean-Paul Klee, Jean-Paul Sorg, Charles Spindler, Marguerite Thiébold, Jean Christian, Gustave Stoskopf. Emma Muller, journaliste, poète et dramaturge, également militante féministe au 19e siècle, fut active pour l’almanach, comme sa fille Dorette Muller, artiste et affichiste, dont on disait qu’elle était « Hansi au féminin » et à laquelle Bernard Riebel a consacré un livre qui fait référence.

Maintenir en vie cet almanach tient presque du miracle. Gérard Riebel rappelle qu’autrefois il existait plus d’une centaine de variantes, diffusées sur un vaste territoire allant de Copenhague à Avignon ! Gérard ajoute : « C’était le premier européen dans l’esprit républicain pour répandre instruction et distraction auprès des ouvriers et des cultivateurs ».

Stella Thomas, gérante des Éditions Pointillés qui assurent la ligne éditoriale, la mise en page et l’impression de l’almanach. / ©dr

Notre Grand Messager Boiteux d’Alsace-Lorraine-Franche-Comté est le dernier à survivre ! Celui de Vevey, qui était le dernier de Suisse, a fait faillite l’an dernier. Il avait 300 ans. Depuis 2004 ce sont les éditions Pointillés dirigées par Stella Thomas qui en assurent la ligne éditoriale, la mise en page et l’impression.

Bernard Riebel possède de nombreux numéros de l’almanach, mais aussi le costume « authentique » du « messager ». Tous les ans, rituellement depuis 20 ans, il se costume, le premier lundi du mois de décembre, pour dédicacer le matin l’almanach à la librairie près de la tour des Forgerons à Molsheim. Cette année ce sera le 4 décembre. Vous pouvez prendre date : ce message n’est pas boiteux.

L’édition 2024 du Grand Messager boiteux de Strasbourg, diffusé en Alsace, en Lorraine et en Franche-Comté, est disponible en librairies, kiosques et grandes surfaces au prix de 10 €.